** . . .: mai 2008

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20 mai 2008

. de non retour (3ème partie)

La lumière du soleil déclinait sur le désert. La nuit allait tomber dans une heure tout au plus quand la porte du Territoire Curieux s'ouvrit à la volée, délivrant la plupart des clients du bar de leur retraite de pierre. L'appel lancé par Simaze, l'hurluberlu qui criait aux lapins cracheurs de feu, avait été reçu on ne peut plus sérieusement par la population du bistro. Philibert interloqué avait, après quelques instants de réflexion, délaissé son jeu de Bungalops pour suivre le mouvement général vers la sortie. Les clients, une fois l'appel lancé, s'étaient pour la plupart mis en quête d'une arme de fortune pour la chasse improvisée qui leur tombait dessus.

Un petit homme trapu se fraya un passage au travers du groupe rassemblé devant la petite cabane de tôle qui servait d'entrée au Territoire Curieux. Il grimpa au sommet d'une petite dune à quelques mètres du groupe, histoire de se faire voir de tous. Philibert se pencha vers Graham le barman, pour lui demander qui était ce personnage.
-ça c'est Edmol. Le fondateur du club des siffloteurs du bush. Attention mon gars, te fies pas à sa dégaine, il est très fort.
Edmol dont l'émotion faisait palpiter la moustache se racla la gorge, puis se tourna vers le couchant pour cracher.
Sans préavis, il se lança dans un discours improvisé adoptant sans complexe le style de ces drames néo-russes de basse extraction qui pullulaient sur les scènes publiques de l'union. Ses paroles heurtèrent la troupe et les tympans de Philibert de plein fouet, faisant déguerpir la conscience de la plupart des auditeurs au profit d'une cervelle offerte à la première idée qui passerait par là. Si on lui avait demandé de résumer les trois minutes de discours d'Edmol, Philibert aurait sans hésitation répondu par ces quatre mots : Revanche, orgueil, fierté, et manique.

Olbie s'approcha de Philibert et lui lança d'un hochement de tête complice :
-Impressionnant, hein, pour un moustachu ?
Philibert ne voulant heurter personne leva les épaules et hocha la tête dans un sens puis dans l'autre.
-Et c'est quoi son histoire à cet homme ?
-Ah c'est sûr que pour quelqu'un qui vient d'arriver il doit paraitre un brin curieux l'animal, répondit Olbie.
Bon beh disons pour faire court que sa famille entière a été descimée par une meute de lapins pyromanes. Ça va faire quinze ans le mois prochain. Depuis, il a juré d'éradiquer l'espèce dans ce désert puis dans le monde. Il a créé un groupe de choc, un ramassis de vieillards nostalgiques des guerres pré-unionistes. Ils se font appeler les siffloteurs du bush.

Philibert, à la fois touché et amusé par l'histoire peu commune d'Edmol, remercia Olbie pour ses éclaircissements. Il déambula entre les chasseurs, étudiant d'un oeil curieux ces personnages aux moeurs si différents de ce qu'il connaissait.

Quelques heures plus tard, alors qu'un magnifique croissant de lune trônait déjà sur le désert, la première battue touchait à sa fin. La plupart des chasseurs avait rejoint les alentours du territoire Curieux. Une tente aux faux airs de mouroir accueillait les petits et les grands brulés. Les prises avaient été maigres, mais couteuses. Selmina, la femme de Graham, une matrone toute paysanne, veillait sur le petit tas de lapins morts en bastonnant de toute sa hargne ceux qui avaient le malheur de tenter un dernier spasme.

Philibert n'avait pas réellement prit part à la battue. Poussé par la curiosité, il avait suivit un groupe d'enfièvrés dans le désert, jusqu'à ce que le sable se fut trop infiltré dans ses chaussures pour qu'il continue à le tolérer.
Il avait regagné les abords de la cahutte, qui lui apparaissait comme le seul point de repère de son étrange journée, et s'était laissé choir pour se vider les basques. Adossé à un buisson, il contemplait le douloureux spectacle de cette vindicte surréaliste, qui semblait désormais n'attendre que la première lueur de l'aube pour relâcher sa folie.

Olbie, assis au coin d'un feu avec d'autres chasseurs, distribuait des cartes et psalmodiait des règles. Graham et Selmina étaient à présent en charge du ravitaillement des survivants. Les boissons tout comme les plats étaient offerts aux blessés, dans un grand élan de partage. Edmol, assis en tailleur la tête baissée, papillonnait entre méditation, et sommeil profond. Simael l'accordéoniste jouait une lente mélodie nocturne qui voltigeait dans l'air.

Philibert se surprit à penser à sa vie passée. Un drôle de vertige. La ville et sa routine étaient si lointaines qu'il avait bien du mal à se figurer comment il était parvenu jusqu'ici. Il avait l'impression de vivre désormais dans un monde différent.
Clarinette la grande, dont Philibert avait suivit le groupe de chasse, vint s'assoir à ses côtés. C'était un joli brin de femme, dont la tignasse rousse défiait la gravité.
-Z'êtes pas trop fatigué... Phil c'est ça ?
-Fatigué ? Non. Pas le moins du monde. L'air du désert est... Il chercha le mot juste...
-Magique.
-Oui c'est le mot.
Il lui sourit puis reporta son regard au loin.
La grande l'imita. Puis elle reprit de sa voix posée :
-On arrive tous ici avec nos histoires, notre passé et nos blessures. La plupart d'entre nous tombe vite amoureux de l'endroit. J'espère que vous resterez suffisamment pour voir les choses changer. Il y a des grands projets dans l'air.

Sans trop savoir pourquoi, Philibert sentait se développer un sentiment de confiance au contact de Clairette.
L'air magique du désert lui susurait à l'oreille que la nuit serait belle, et il ne demandait qu'à le croire.

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