Le Amour Bateau (4ème partie)
Fernando courut à l'autre bout du paquebot, slalomant entre les quinquagénaires déboussolés par la marée haute et les femmelettes frivoles en tutu bleu et vert, qui avaient du mal à calculer le numéro de leur cabine. Son but fut vite atteint : Le salon des Assoiffés, à fond de cale, lieux de rendez-vous des plus grands buveurs de jus de mangue sulfurisée (dont il faisait bonne partie).
Au même instant, à l'étage le plus élevé du bateau, se préparait un crime au summum de la décadence, celui qui resterait gravé dans les tables du Guide Officiel du Parfait Petit Tueur. Tellement abominable que personne ne le vit. Seul, un petit batracien pré pubère de renommée mondiale, avait tout entendu, vautré dans le hamac que le Commandant, son plus grand fan, lui avait si généreusement installé sur le pont supérieur, juste a côté de ses appartements personnels. Il y eut tout d'abord, s'échappant de la cabine de Merryl Stubbing, un grand cri inhumain que Kermitt la Grenouille eut peur de reconnaitre, celui du Tueur Démoniaque et Énigmatique du Pacific Princess.
Puis vinrent des rires résonnants et des éclats de voix peu harmonieux, en alternance avec des hurlements de douleur inqualifiables de perversité... Puis ce fut la fin. La fin d'une vie merveilleuse et ludique. Une vie pleine de rebondissements et d'éclats, une vie au sens large du terme. La fin d'une vie au grand jour.
Pendant ce temps, Kermitt n'avait pas bronché. Il était resté planqué dans le fond de son hamac miteux, tétanisé par la scène sanglante qui se déroulait sous ses oreilles qui n'en étaient même pas. Il était bien conscient de son impuissance face à la situation. Kermitt était une grenouille. Kermitt était une loque; une loque célèbre certes, mais une loque malgré tout.
Au moment même où le pitoyable batracien émergeait de son coma simulé, Fernando de son côté, avait ouvert en grand les portes du Salon des Assoiffés, son deuxième refuge spirituel après le Fernando's Club. Et il comptait sérieusement y trouver de l'aide.
Attablés autour d'un baril de méthane, cinq membres d'élite de la Confrérie des Neuf Doigts tapaient le carton. Il s'agissait bien évidemment de L'Homme au Chapeau-Clap, du Maire de Ondeghem-Plage, de St Jean du Finistère des Affaires Étrangères, du Rescapé aux Semelles de Terre-Cuite, et de son Dentiste.
-"Eh, les minables !
J' ai des doutes sur la sécurité a bord de ce bateau !, cria Fernando à l'assemblée titubante d'attention.
-Laisse-tomber, on en a tous des doutes... marmonna L'Homme au Chapeau-Clap, sûr de son expérience personnelle.
-Assurément mon ami. Vous comprendrez surement un jour, que la vie est faite de doutes, quelque
soit votre milieu social d'origine, dit avec classe le Maire de Ondeghem-Plage.
-Si vous prêtiez attention au jeu, au lieu de tenter de nous ensevelir sous votre verbe ridicule de
conformisme administratif !, lança St Jean, fier de lui et de sa claque morale.
-Suffit ! , fini par dire Fernando, fatigué de ne plus avoir la parole.
J'ai de sérieuses raisons de croire que le meurtrier...
-Le meurtrier ! Quel meurtrier ?, s'interrogea en silence Le Père Maxwell, affalé lui aussi non-loin de là, face à un café brumeux.
-Cessez de m'interrompre bande de poivreaux !, continua Fernando. Donc, de sérieuses raisons de croire que le meurtrier est un dentiste, ou qu'il est fou... Ce qui revient au même.
Le Rescapé aux semelles de Terre-Cuite dévisagea son Dentiste, avec une répulsion qu'il n'arrivait plus à cacher derrière ses quintes de toux répétitives.
-La question n'est pas là, les rassura Fernando.
Il nous faut retrouver ce malotru, l'immobiliser par terre, et lui tirer les vers du nez.
-Mais c'est dégueulasse !, dit en pleurs Théodore Roosevelt, accablé par la fin de son mandat.
Accoudé a son bar déserté par des clients trop saouls pour y venir chercher leurs consommations, lsaak se surprenait à réfléchir à la situation. Son lubrifiant à moustache tressaillit dans son tube quand à la stupeur générale, Fernando fit revenir le pauvre barman à lui-même en frappant sur un baril vide de résonance :
"Puisque vous le prenez sur ce ton, soupira Fernando, il n'y a plus qu'une chose a faire : Je vais le démasquer moi-même, et toute la gloire de sa capture me reviendra. A moi et a moi seul."
Il ressortit du Salon des Assoiffés aussi vite qu'il y était entré, laissant derrière-lui une peuplade incompréhensive de ringards déboussolés.
La mort du Commandant Stubbing venait d'être déclarée officiellement a l'hygiaphone du bord, et son fan-club arborait déjà un étendard noir aux reflets aussi blancs que le sourire du disparu. Toutes les trente minutes, tel le glas d'un autre âge, la voix froide et orpheline de Julie rappelait aux passagers la fin tragique du-dit héros.
La piscine avait été mise sous bâche pour l'évènement, et les seuls a s'attarder sur la
Terrasse aux transats étaient les inséparables Solcarlus, son Loukoum et, voletant joyeusement à
leur côté, Un Vieux Hiboux Inconnu au bataillon mais respecté de Tous qui leur tenait la conversation.
"-Je comprends pas !, geignait Solcarlus...
Mais qu'est-ce qui se passe ? J'hallucine ! J'en reviens pas ! J'en éternue !
-Bon ben ça va !, gueula son Loukoum avec toutes ses tripes encore libres.
-Il faut vous faire une raison. . . Le Commandant est mort.
Seule votre puissance intellectuelle pourra vous sauver de son souvenir traumatique, le rassura Un Vieux Hibou, entre deux coups d'aile.
-C'est pas ça mon problème ! C'est la piscine !
Pourquoi ils l'ont enfermée sous cette bâche ces salauds ?
Je suis sûr qu'elle ne respire pas là-dessous !, pleura Solcarlus.
-Tu ne peux être sûr que d'une chose : Cette piscine aussi gentille soit-elle, ne respire jamais...
Tu m'entends ? Jamais !, hurla le Loukoum du fond de sa pâte verte de consternation.
-Ce que veut vous dire votre ami, est très simple, essaya de lui expliquer Un Vieux Hibou.
Cette étendue d'eau flasque et froide que vous appelez piscine, ne porte aucune trace de vie en son sein... Elle est socialement inanimée... Me comprenez-vous ?
-Hein ???", déglutit Solcarlus sous le choc.
Une brume épaisse s'emparait du Pacific Princess à mesure que la soirée avançait vers la nuit. La tension était insoutenable à bord. Qui allait être la prochaine victime de ce fou imprévisible et sournois comme la marée haute au Mont St Michel ?
à suivre...
klb 98
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