** . . .: Le Amour Bateau (3eme partie)

16 juin 2007

Le Amour Bateau (3eme partie)

Sur ordre du Commandant on n'avait touché à rien, "Il faut laisser faire la nature", avait-il dit, tout content de son initiative.
Voilà pourquoi Fernando du Fernando's Club n'avait rien dit à personne de sa trouvaille de la nuit du meurtre. En se penchant au-dessus de la balustrade, sceptique quant-à la thèse de l'accident, Fernando, avait entrevu un éclat inhabituel dans l'eau de La Deule; et à cette lumière blanche aquatique, il avait instantanément associé une image gravée dans sa mémoire : C'était une publicité pour le dentifrice Denkiflash qu'il avait vu comateux, un soir de cuite au Thé bleu, avachi dans son canapé à essayer de compter les doigts qu'il avait sur la main du milieu. Tant et si bien que le futé Fernando avait éliminé d'emblée la thèse du suicide, imaginant avec peine la petite Vicki se brossant les dents sur le pont promenade sans éclairage, ni miroir, ni ambition.

Malgré tout, la Grande Croisière Pas Ordinaire poursuivait son cours, comme les pauvres gens meurent de faim : pas parce-qu'on le veut, mais parce-que c'est la vie, la vraie.

Des centaines de petites affichettes étaient placardées un peu partout sur le bateau. Elles indiquaient clairement en lettres bleu-marine sur fond noir les choses à faire et à ne pas faire en cas d'incident mortel à bord. L'intitulé en était :

"L’ART et la MANIERE
de NE PAS mourir sur le
Pacific Princess"

Cependant, le docteur Adam Bricker restait seul dans sa cabine. Lui que la mort de Vicki avait attristé autant que l'élection de Robert Charlebois à la présidence de la ligue Mongolaise des bûcherons unijambistes, lui que la vie lassait de plus en plus chaque matin au réveil.... Lui dont le Monde pouvait si aisément se passer.
Il s'était mis en tête de s'injecter un treizième fix de scopolamine iodée, quand il s'aperçut du ridicule de la situation: Il n'avait plus, à portée de main, que du détergent anti-bouloches !


"Oh ! Cruelle destinée...
Le sort s'acharne sur l'amphibien grabataire que je suis !
Quelle sera ma prochaine déception ?"
-Celle que causera to perte, crétin !",
hurla la voix rauque et résonnante du Tueur Démoniaque et Enigmatique du Pacific Princess.

L'invité surprise venait d'entrer avec toute la discrétion qui était la sienne, dans l'infirmerie, temple des lamentations de fin de quarantaine du Docteur. A peine ce pauvre homme déconfit eut-il le temps de décrocher le combiné en bakélite de son téléphone cellulaire format dé à coudre, que son esprit, qui ne l'avait jamais vraiment habité, le quitta pour un corps plus propice à ses aspirations... La conversation téléphonique fut tout de même des plus efficaces compte-tenu du temps qu'elle avait duré :

"Allo ! Allo ? ALLO !!!
-Non mais qu’est-ce qui vous prend de crier
chez les gens comme un mort en sursis ?
-Y`a qu... Y' a qu... Y' a quelq'un qui veut me tuer
encore plus que je ne le suis déjà !
-Hein ?!?
-mou... J'vais mourir espèce d'inculte !!..
-Sssscch-Bbaahh !, fit le coup de fouet
dévastateur du meurtrier, s'acharnant à la tâche,
qui résonna treize secondes durant dans la tête
de sa deuxième victime impuissante.
-Sauvage !", aboya l'interlocuteur involontaire,
avant de raccrocher son combiné,
choqué au plus profond de l'âme par ce qu'il venait d'entendre.

"Crise de fin de quarantaine", en conclut le Commandant après une inspection du corps du défunt plus que superficielle. C'est à ce moment précis qu'intervint la musique, cette musique qui avait déjà surpris et enthousiasmé les spectateurs du grand départ; LA musique du Love Boat : "Love, exciting and new; Come aboard, we're expecting you ! Love, life's sweetest reward; Let it flow, it floats back to you..."

"Arrêtez cette musique, il convulse !, crut bon de dire Mon Cher Papa,
qui se souciait plus des cadavres que des chansons nécrophiles...
-Qui ca ?, se hasarda à demander Mon Ami Deconnynck,
qui n'avait pas pu tout suivre de son plein gré.
-Mais ! Le Docteur ! Il n’est pas tout-à-fait mort non plus !
-T'occupe ! Il faut l'intuber ! Faut l'intuber !!, criait avec rage M. Riboul'Dingue,
profession: garçon vacher.
-Même si c'était vrai, comment tu veux que je l'intube ton copain ?
Il a bouffé ses lunettes ce con!, se défendit Mon Cher Papa.
-ON lui a fait bouffer ses lunettes, si tu veux mon avis toubib...,
intervint à son tour l'Oncle Tom, suspicieux de nature.
-Tais-toi et pousse !", fini par dire Mon Ami Deconnynck,
agonisant sous les trombes d'eau qui lui sortaient de la tête.

C'est en poussant le cadavre par-dessus bord, que ce quatuor vociférant constata d'une façon inégale l'atrocité du crime qui venait d'avoir lieu. Les esprits commençaient alors à s'échauffer à bord du paquebot, que certains surnommaient déjà The Death boat.

Rien non plus ne s'était calmé dans le cerveau impertinent de notre ami Fernando qui avait envisagé les pires possibilités pour le reste de la croisière, vociférant, beuglant, mâchouillant son résidu souvenir de cigare calciné par les années, il arpentait rempli par le tourment les ponts et les couloirs du Pacific, sans jamais aboutir à une conclusion plausible quant à l'identité du meurtrier. Le pauvre se prenait pour Jack la Palourde, bien qu'il n'ait jamais su qui il était. Néanmoins, il avait du flair; car au détour d'un couloir déserté par les touristes, il tomba nez à nez avec la cabine de consultation de feu Doc Adam Bricker, dont il ouvrit la porte sans attendre... Il se retrouva dans une pièce saturée de Blanc, du sol au plafond. Seule une minuscule tâche de sang à la surface d'un bocal solitaire... qu'il ouvrit à grand-peine. Son contenu allait changer la vision des choses de Fernando. A l'avenir il ne regarderait plus les bocaux d'une manière aussi désinvolte. Du dentifrice ! C'était désormais évident, le coupable était fou... ou alors dentiste.
Donc il était fou.


A suivre...


klb/98

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