** . . .: Le Mystère de La Palourde (le texte noir) 1ère partie

29 janvier 2007

Le Mystère de La Palourde (le texte noir) 1ère partie

Au commencement, il y avait le noir... le noir total. Alors il n'est pas étonnant que ce héros ne soit jamais sorti de l'ombre. Il s'appelait Jack, oui, Jack... Un nom banal ? Eh bien non. Pas quand on y associe le pseudonyme de "La Palourde".

Jack la Palourde était tout le contraire d'un corrompu. Et quand il arpentait le bitume, il le faisait avec classe, son éternelle classe, celle-là même qui avait fait toute sa réputation. Il avait une technique bien à lui qui consistait à toujours poser les questions après, et à improviser avant. Cette technique faisait des ravages, surtout sur ses clients... Car Jack la Palourde était connu dans le milieu principalement pour son aptitude à enquêter sur tout et n'importe quoi; et il arrivait la même chose à chacun de ses malheureux clients : Il les descendait avant même qu'ils aient eut le temps de dire : "Bonjour, je viens vous demander un service. C'est un service minime, c'est juste histoire de tuer quelqu'un..."

Il vivait la plupart du temps retranché dans sa planque; qui n'était autre qu'une cave; le sous-sol d'un immeuble dont plus personne ne voulait parce-qu'il était rétro et dépassé technologiquement...

Cet immeuble se trouvait, de plus, sur Black River Street, une rue somme toute assez bien nommée puisqu'elle constituait à elle seule le quartier le plus mal famé de la ville : East-Alma. Ce pseudo-quartier ressemblait à s'y méprendre à un ramassis de toute la misère de la ville, et ceux qui osaient encore y sortir la nuit devaient être armés d'un gros calibre ou alors d'un courage suicidaire. En prêtant l'oreille, ils pouvaient alors apercevoir la population nocturne du quartier (qui compensait abondament l'absence d'habitants pendant la journée). Celle-ci se composait des loques les plus disparates : des éclopés irresponsables qui avaient échoué leurs tentatives de suicide héroïque pendant la dernière guerre, des informateurs en mal d'informations, des has been de tous poils (même des moindres), des dealeurs de boussoles déboussolées à trotteuse rabattable, des empècheurs de tourner en rond (qui menaient depuis plusieurs générations une politique désespérée de boycott des couroies de directions de Vespa), des exclus de casinos, perdants de profession (qui se revêtaient de simples toiles de jute recousues partiellement de cordes de raquettes de tennis usagées), des collectionneurs de pin's attardés mantaleaux (qui croulaient un peu plus, jour apres jour, sous le poids de leurs vêtements recouverts de pin's), et aussi des pires fausses-couches de toute l'Amérique, puissante et belle dans sa démesure et son ridicule grandissant... Bref, Jack la Palourde menait une vie de merde.

Cette vie bascula très exactement le 31 au soir, juste quand il s'y attendait le moins.
Ce soir-là, il était tranquillement allongé sur son bureau parce qu'il avait brûlé sa chaise lors du feu de la St Patrick, bien qu' il n'eût jamais été irlandais. Il attendait que le temps passe en espérant de toutes ses forces ne pas entendre les cris et furies des derniers pitoyables fêtards qui s'obstinaient encore à placer tous leurs espoirs dans l'incantation de cannettes de bières vides, pour que l'année à venir soit meilleure... Et, tout en comptant les fissures asymétriques du plafond qui était son interloccuteur attitré depuis plus de trois heures, Jack pensait fébrilement :

"Cette sombre utopie témoigne de la dérive spirituelle de masse qui s'accroît ces temps-ci..."

Ainsi voguait son marasme psychologique quand un événement perturbateur impromptu vint barrer la route de sa méditation stagnatique..... Il entendit des bruits de pas, lents et successifs comme un trépignement sournois... Pas de doute, ces sons étranges provenaient de derrière sa porte. Sa réaction ne se fit pas attendre : il sortit furtivement son épis de maïs de son fourreau, le pointant méchamment vers la porte. Dans la poche droite de son imperméable, il tapotait son briquet, prêt à s'en servir si les choses tournaient mal... ou même au vinaigre. Tout-à-coup, il lâcha tout le sang-froid qu'il avait sur lui, et se jeta sur la porte, tête baissée et calvitie en avant, tout en espérant tomber sur un nouvel ami (car il en avait peu dans le milieu).

Mal lui en prit : à peine avait-il posé le pied sur le résidu de poignée en parpaing, que sa bien-aimée porte s'ouvrit, laissant au devant d' elle se répandre le vide, l'indiscutable et insipide néant...

Alors, dans la fureur de son étonnement, Jack hurla tout droit à sa porte :

"Porte parmi les Portes, Frontière entre Deux Mondes, mais que t'arrive-t-il donc ?

Voilà que tu me fais espérer des visites amicales, des surprises agréables, de chaudes embrassades! Mais qu'obtiens-je donc quand je t'ouvre, le coeur empli d'un vif et

soudain désir de chaleur humaine, de réconfort en ces jours tristes où rien ne va plus guère ?

RIEN ! Le néant total et absolu ! Alors, c'est cela ? Tu m'abandonnes ?

Eh bien soit ! je ne te parlerai plus désormais que par monosyllabes !"

C'est le coeur amer qu'il baissait les yeux pour verser une dernière larme sur le pas de sa porte, et sur sa trahison, quand il aperçut, coincé entre deux lattes du plancher de son couloir, un malingre morceau de papier, qui se tortillait penaudement pour essayer de sortir de ce traquenard humiliant.

Jack le ramassa avec toute la curiosité qui le caractérisait, et l'examina d'un oeil intéressé.
C’était, après tout, sa seule trouvaille de la soirée. Sur ce morceau de papier, qui avait perdu toute la grandeur de ses parents les arbres, Jack la Palourde chercha les traces subliminales de quelques signes de communication, et ce après l’avoir soigneusement déplié. Il put alors y lire, ou plutôt tenter d’y lire des mots étranges qui n’en étaient même pas :

Jack vie plus, partez ou mort

Je serais ravis . . .

Mr
PRO

C’en était trop, et en plus, c'était incompréhensible. Tout ce qu'en déduisit Jack, c'est qu'il se faisait grand temps pour lui d'élucider ce mystère. Il monta les escaliers qui le menaient à la rue, tout en se demandant qui pouvait bien vouloir le tuer, autrement dit, qui pouvait bien être ce Mr Pro, et quand il finirait par décuver.

Quand il s'extirpa de la porte cochère qui lui était totalement indifférente, et s'offrit à la Nuit, pâle et mystérieuse elle aussi, il eut un vaste mouvement du cou, comme pour chercher un éventuel coupable dissimulé maladroitement dans le paysage. Ce réflexe, seuls les professionnels de sa trempe pouvaient l'avoir acquis. Mais il fut inutile, car personne ne hantait plus le parvis de son immeuble (ni même tout Black River Street) à cette heure désolée de la nuit.

Jack était en train de lentement se rendre compte que le bordeau défraîchi de sa "Renault 11 Custom" flashait dans l'obscurité quand l'idée lui vint d'aller rendre visite à Teddie l'Entreposeur. Ted était l' homme de la situation; il l'avait toujours été: lui seul pouvait répondre à toutes les questions qui avaient un rapport direct, ou non, avec les enquêtes de Jack.

C'était son indicateur. On l'avait appelé l'entreposeur rapport aux nombreuses informations qu'il entreposait consciencieusement dans des "caisses en bois pour pas qu'elles coulent dans les eaux noires et froides du port....On sait jamais.", comme il aimait à les appeler.

Jack prit donc le parti de chevaucher sa majestueuse Dévoreuse de bitume, sans plus attendre, et de s'enfuir loin, dans la ténébreuse moiteur hivernale, en quête de vérité, tel le Cavalier au Coeur Brave chargeant avec sa puissante monture, Mère Justice...

Il quitta donc Black Rever Street sous une pluie battante qui, après avoir rebondi et dégouliné de maintes façades de bâtiments décrépits et insalubres, n'arborait plus rien d'originel. Insensible au vent et aux tourbillons de pluie, Jack s'engouffra ensuite sur New Empire Avenue. Pendant que des centaines de gouttes obstinées jouaient au saut à l'élastique sans élastique, se vautrant sur son pare-brise dans un ballet aquatique qui n'avait rien de glorieux, Jack la Palourde, accompagné d'une nuit grandissante, parcourait les rues sombres de cette ville où le danger était à chaque tournant. Il était désespérément en train de se demander à quoi correspondait exactement le Nouvel Empire quand un éclat de lumière furtif provenant de son rétroviseur gauche (son unique rétroviseur), ramena à la raison ses sens les plus endormis.

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