** . . .: Journal d'un Mort en Surcis (7, 8, et fin)

25 novembre 2006

Journal d'un Mort en Surcis (7, 8, et fin)

La nuit avait chassé l'aube.
J’avançais péniblement dans l’obscurité, avec l'impression croissante que chaque pas me ramenait vers le néant.
Et le souvenir de la lumière m'aveuglait intérieurement.
Je sus que le chemin avait disparu quand je sentis l'air froid me traverser les pieds.
Je m'assis en tailleur et essayais de compter mes heures de marche.
Un murmure naquit derrière mes oreilles.
Je me recroquevillais, la tête entre les genoux.
Mais le murmure s'amplifia pour devenir une plainte.
Au bout de quelques minutes, les hurlements devinrent insupportables.
Je me retournais et maudis l'auteur de ce tintamarre.
"Il suffit, vieil impotent !
Faites taire vos rouages; qu'on en finisse !"
Alors s'éleva devant moi une forme immense qui par sa seule noirceur obscurcissait la nuit.
Et elle me parla dans un roulement de tonnerre assourdissant,
qui fit vibrer les astres et chavirer le ciel :
"Je suis le gardien des Infinis;
Je sème la discorde où soufflent les tempêtes;
je retourne les terres, les mers et le feu de vos vies;
je condamne à trépas les fous qui osent se mettre sur mon chemin;
je rugis dans le coeur des mortels et fais trembler leurs âmes;
je suis celui qui n'a pas de nom;
je suis le gardien des Infinis."
Je me surpris à rester silencieux. Je le regardai de haut en bas alors que son grondement résonnait dans mon crâne.
Je lui dis sans lever les yeux :
"Et tu viens m'apporter le repos éternel car en osant pénétrer hors des frontières de mon monde, j'ai enfreint les lois que tu as fixées ici, dans ton néant."
Il rit à mes propos et dit à son tour :
"Telle est la prophétie, et ainsi sera-t-elle accomplie.
Prépare-toi à succomber au châtiment éternel de la douleur..."
Alors je me levais à mon tour pour lui faire face, tandis qu'autour de nous,
les éléments se déchaînant firent silence.
Nous étions si proches et pourtant si absents l'un pour l'autre.
Et dune voix calme, je lui dis :
"Démon ancestral oublié de tous;
Tu nous juges et nous exécutes sans savoir ce qui est, sans connaître ce qui sera.
Tes pouvoirs sont illusions;
Tes paroles soufflent dans un vide de l'existence que toi seul arpentes.
Et tu as omis de voir ce qui causera to perte,
c'est que l'indifférence a chez moi surpassé toute ta réalité...
Meurs en paix avec toi-même,
Mais épargne ceux qui vivent encore, de ton insignifiance."
Ainsi je le laissais à son tourment et regagnais la voie de mon errance.

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Le rideau s'ouvrit sur une grange abandonnée,
où s'était donné la mort un couple de mésanges noires.
Je m'allongeais dans la paille, fatigué par la route et le manque d'oxygène de la lande.
Un joli travail de charpente boisée recouvrait l'édifice.
Mes yeux se perdirent un long moment dans ce dédale de poutres entrelacées.
Puis le couple défunt attira mon attention.
Je les mis en terre sans tarder, esquissant même des bribes de cérémonie funèbre.
Petrus, l’homme à la fourche, entendit mes incantations et le prit pour lui.
Il descendit du chêne millénaire qui trônait au milieu du champ, et se gratta la barbe
comme intrigué par ma présence.
Je lui fis mes hommages et rendis grâce à sa famille.
Il me regarda stupéfait puis rit à mon allure.
Il avait un air souverain dans sa campagne quand il me dit en fronçant les sourcils :
"Il a pas de chapeau l'étranger !"
Je ne sus que lui répondre sinon :
"Elles étaient a vous ces deux mésanges ?
Il soupira et dit :
"Je croyais que l’air de la campagne leur ferait du bien...
Bon dieu ! C 'que j'ai été con !"
Et il repartit en courant à travers le champ de blé, dont les épis volaient par dessus sa tête.
Je restais seul, dubitatif devant ma grange, à essayer de penser a quelque chose de plus réjouissant que la mort.
Puis la pluie se mit à tomber.
On aurait dit que les cieux s'étaient retenus pour l'occasion.
L'eau ruisselait de partout, et la lande entière fut recouverte.
La tombe se défit sous mes yeux sans que je puisse intervenir.
J'avais accompli ma tâche, et le sort avait voulu que les deux oiseaux se noient plutôt qu'ils
partagent la terre de leurs ancêtres.
Le courant les porta loin, la où la lande est interdite aux humains.
Quand je me réveillais après ces quelques jours de tempête, le soleil embrasait a nouveau les champs, et les arbres sortirent de terre comme à leur première naissance.
Tout était calme; si calme que ma respiration me troublait.
Je m'approchais du tombeau profané par les éléments pour y laisser tomber un dernier regard.
Trois chardons y avaient fleuri.
Tous trois finirent leurs jours à la lumière du Soleil.
Deux d'entre eux étaient la mémoire des mésanges noires; ils fleurirent majestueusement,
s'ouvrirent au monde et devinrent des arbres.
Quant au troisième, il était le symbole de ma vie et devait décrire mon importance dans tout ce qui allait suivre.
Celui-la eut la vie brève.
II s'embrasa et ses cendres se répandirent dans la lande endormie.
Je la quittais alors, ne voyant dans cet événement qu'un sombre présage.

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La dernière nuit de mon voyage touchait à sa fin.
De toutes parts, le brouillard m'envahissait;
et les ombres grandissantes dansaient autour de moi.
Cela faisait si longtemps que je parcourais les univers, que je ne savais plus par quel
chemin m'en retourner.
Le froid me gagna alors que les brumes allaient s'épaississant.
Je tremblais et commençais à perdre espoir.
Je m'approchais d’un banc sur lequel je m'assis.
Autour de moi, les couleurs avaient disparu.
Je baissais les yeux et contemplais mes pauvres chaussures.
Leur mort était proche et elles la sentaient venir.
Une rumeur dans le ciel, un battement d'ailes soudain, me fit lever la tête.
Mais, la non plus, rien n'était discernable.
Je fus frappé de stupeur quand j'aperçus une ombre assise près de moi.
Elle se tourna vers moi et prit trois respirations.
Quand enfin, la créature se décida à parler, plusieurs voix résonnèrent ensemble et chaque mot fut répète jusqu'à ce qu'il se grave dans ma mémoire
"Que t'apporte la fuite ?
A qui comptes-tu échapper de la sorte ?"
Le froid s'empara de mon esprit alors que ses paroles dansaient clans ma tête.
Je lui répondis :
'Je ne sais pas; peut-être l'espoir de ne pas devenir l'un d'entre-vous..."
Et l'Ombre de me dire :
"De qui parles-tu ?
Nous ne sommes qu’un seul.
Saches que seul ce qui sera deviendra ce qui est."
Je repensais à mon histoire, à son non-sens;
puis me levais soudainement pour lui lancer de haut :
"Alors disparais !
Et laisse être ce qui est !"
Je m'éloignais du banc et me laissais envahir par les brumes,
cherchant une nouvelle étoile pour me guider.
Et voila qu'elle réapparut à mon côté, en disant de ses multiples voix :
"Tu n'es déjà plus que l'ombre de toi-même...
Regarde donc ton reflet dans cette eau noire... Le vois-tu seulement ?
Pars maintenant ! La fuite a rempli toute ta vie !"
Les larmes perlaient sur mon visage quand je lui criais :
"Mais qui es-tu pour me juger ?
Te crois-tu supérieur au point de vouloir m'anéantir ?
Et l'Ombre poursuivit
"Ma tache est toute autre...
Je dois prévoir ce que tu seras; il me faut connaitre ta valeur...
Ainsi seulement je pourrais savoir si tu fais partie des nôtres."
J’en eus assez de ces bavardages inutiles et décidais de mettre un terme
à mon incompréhension.
Alors je dis :
"De quels autres parles-tu ?
Et enfin qui es-tu ?"
A cet instant, une lumière aveuglante m'étreignit les yeux et je tombais à genoux
sur le pavé de la rue.
Quand j’émergeais de la brume, après quelques minutes de délire inconscient, mon regard se figea sur l'assemblée de sombres personnages qui me contemplaient de leur hauteur.
Je compris bien des choses en reconnaissant là les quelques fous qui avaient croisé mon chemin ces derniers jours.
II y avait Sergio Krokobar, La grande femme a barbe blanche, Tiburs Merticulsiago, Mon oncle Fusibalde, le frère prieur Jean-Alfred Bartholomee, le Gardien des Infinis, et Petrus, l'homme a la fourche.

Ils s'approchèrent tous de moi en un même mouvement,
et mêlèrent leurs voix pour me dire :
"Nous sommes venus pour savoir...
Es-tu digne d'entrer dans notre ordre ?
Es-tu capable de devenir égal a toi-même ?"



klb 1998

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