** . . .: Journal d'un Mort en Surcis (5 et 6)

01 novembre 2006

Journal d'un Mort en Surcis (5 et 6)

Le reveil fut rude.
Les senteurs du caniveau dans lequel j’avais apparemment passé la nuit me gonflaient les narines.
Une mélodie d’enclume martelée était jouée à l’intérieur de mon crâne.
La ruelle où l’on m’avait jeté était souillée par la crasse et la tristesse refoulées de la ville.
Sans plus tarder, je décidais de quitter l’endroit comme l’envers du décor.
Et le vent me porta vers la frontière la plus proche de la ville.
Les portes fortfiées d’un monastère s’y dressaient sereinement.
Elles le protègaient des tourments engendrés par le commun des mortels.
N’ayant aucune autre alternative sinon celle de passer mon chemin et de mourir, ,je m’avancais vers l’ouverture et frappais par trois coups.
Un long, un court, et encore un long.
Pendant les longues minutes qui s’ensuivirent, je regrettais de ne pas avoir choisi la fuite.
Puis une force impalpable m’étreignit le dos et me plaqua la joue contre l’acier martelé des portes.
N’attendant plus que la mort du condamné, je crus voir mon bourreau s’avancer dans la lumière de l’ouverture vers ma piteuse dépouille...
Je compris qu’il n’en était rien quand le frère prieur Jean-Alfred Bartholomée, rejeta sa capuche de soutane sur ses epaules, baigné par un halo de lumière à en faire palire le petit Jesus.
Il m’interpela chaudement comme à l’accoutumée :
«Alors mon grand, on tambourine à ma porte ?’
Je lui répondis en m’enlevant un cil mort de la bouche :
«Je suis également très heureux de te revoir Alfred.
Mais la raison de ma visite ne t’est pas inconnue... Te souviens-tu du glorieux appel lancé par les Pères de notre royaume, lorsque celui-ci courait à sa perte ?»
Le frère prieur se gratta la barbe, puis fronça les sourcils avec ferveur; et quand la minute la plus longue de la chrétienté se termina dans des râles profonds, il porta un regard affaibli sur mon personnage, et dit d’un ton de cruciverbiste :
«Non, je ne m’en souviens pas.»
Je lus alors dans ses pensées qu’il en était tout autrement, et le feu s’empara de mes paroles, quand je lui dis :
«Tu te dois de m’aider à accomplir ma mission, Fratus Bartholomée. Le temps est l’ultime barrière à l’aboutissement de nos ideaux.»
Mais il détourna la tête et me montra du doigt, un sourire de fou sur le visage. Puis il alluma un cierge dans sa main droite et le leva au ciel en criant :
«Retourne broder les nuages petit!»
Alors, m’appuyant sur le code d’honneur des Maîtres de la Pensée Universelle dont j’avais fait tantôt partie, je sus qu’il était passé aux mains de l’ennemi. Je me levais de la terre froide qui bordait misèrablement le monastère déchu, pour contempler une dernière fois la ruine d’un ideal.
Et celui que j’avais cru être mon frère, retourna prier pour le salut de son âme un dieu qu’il ne connaissait même pas, accompagné par un cortège de moines novices qui n’attendaient plus que de devenir Pape.
Je me retournais alors vers le paysage de montagnes blanches et le ciel noir qui nlattendait que moi,
et m’enfus au loin dans le tambourinement des astres.

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La lumière fut mon premier contact avec le point du jour.
Le ciel était étrangement resté noir après la nuit.
Mais le petit rat en costume de belette que je fixais continuellement depuis plus de trois heures ne se rendait compte que très superficiellement du bouleversement qui pouvait résulter d’un tel phénomène.
Ce rongeur m’intriguait, car il couchait systèmatiquement l’herbe bleue de biais dans la terre
pendant ses repas. L’avoine n’était pourtant pas rare dans la prairie.
Une voix surnaturellement féminine coupa Le fil de mes pensées en ces termes :
«Ce n’est pas un rongeur mais un mustélidé...»
Confus, je ne sus que dire sinon :
«A qui ai-je l’honneur petite sotte ?»
Alors une femme toute habillée de fleurs émergea de sous le manteau de la Terre.
On eut dit une apparition divine; une musique douce l’accompagnait dans son mouvement.
Elle ouvrit par à-coups ses petits yeux diamantaires pour me dire d’un regard sombre et gracieux :
‘’Je suis Mademoiselle Parfums, la seule, la vraie, l’unique;
La seule qui ait jamais vécu et qui vivra jamais...»
Je me remis debout sur les mains et lui rétorquais sans applaudir :
«Et bien Mademoiselle Parfums, je suis désolé de vous contredire,
mais cette belette est un rat, je le vois dans ses yeux.»
Soudain, l’animal que nous avions délaissé depuis peu, ne supportant ces allusions déplacées à son appartenance, vomit sur le monticule d’herbe bleue et nous hurla en claquant des dents, trois mots de son langage de démon, et ses yeux rougeoyaient alors d’une lueur profonde :
‘’Hurgol ! Maariss ! Kesaltof ‘’
Je comptais une, puis deux, et je m’enfus vers la liberté, emmenant au passage la femme aux fleurs qui avait aussi peur que moi sous ses allures de sauvage cultivée.
Je courais vers la lagune en tenant Petite-folle-éclose par la main, quand celle-ci sembla devenir de moins en moins materielle. J’eus une seconde pour m’apercevoir qu’elle n’était plus la; et, portant un regard vide sur le sol, je vis accumulées dans un sintillement de couleurs, les fleurs qui avaient materialisé le temps d’un instant ma petite créature celeste.
Le vent se remit alors a souffler.
Et, au lieu d’emporter la dépouille florale de mon amie, il changea ses dernières couleurs en pétales d’un noir éclatant, qui amenait tristesse et chaos sur toute cette terre.
Une fois de plus, je dus m’enfuir loin des troubles qu’avait engendré mon passage.

klb. juin 1998

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