** . . .: Journal d'un Mort en Surcis (3 et 4)

17 octobre 2006

Journal d'un Mort en Surcis (3 et 4)

La route semblait se construire sous mes pas tandis qu'une chaleur étouffante achevait

le déboisement du paysage.

Un turban autour de la tête, je me souvenais doucement de ces après midis de bohême,

quand le vent faisait voleter nos chapeaux et qu'il nous les rendait en fleurs.
Mais ma soif de souvenirs me passa, et je rouvris les yeux a la réalité.
Au détour d'un chemin, je rencontrais mon ombre.

Elle me chanta une histoire de tombeaux et de vide, et sa caresse éveilla

mon attention à son immaterialité.

Je la quittais pour, plus tard, mieux la retrouver; et posais inconsciemment le pied

sur le pavé d'une nouvelle ère dont les rues étaient si calmes qu'on les

eut dites désertes.
Cette ville s'appelait Mansquietude, et tous ses habitants étaient trilingues.
On y parlait courament l'argot, le néo-hongrois et l'endivique.

L'hôtel de ville en était une auberge, réputée quand-à-elle pour la bedaine

de Gros Joufflu, son tenancier.

Je m'assis à un coin de table aux faux airs de roue de chariot et commendais

une pinte de Sept-Lieux, l' alcool idéal pour se mettre dans l'ambiance du lieu.

Ma voix eut toutes les peines du monde à s'orienter dans le brouillard

qui tamisait l'espace.
Quand je retirais mes lunettes, qui s'etaient faites opaques au contact de l'air,

les murs se revélèrent d'un bleu sombre et les fumerolles blanches

se firent rouges écarlates.

Au bar était accoudé un vieil homme de grande stature qui parlait l'une des trois

langues avec le Gros Joufflu,

n'ayant de cesse de lui payer doubles Sept-Lieux sur triples Sept-Lieux.
Cette figure emblèmatique de la cause pour laquelle je m'étais tant battu,

s'appelait Tiburs De Resac,

mais à sa grande epoque, tout le monde lui préfèrait le doux nom de Tiburs

Merticulsiago; ce qui grossièrement signfie la même chose.

A ma vue, son visage s'illumina tant qu'il en était encore capable.

Je rejoignis les deux hommes en trois grandes enjambées de chaises et de roues

de chariot, pour atterrir à leurs côtés, harassé mais serein.

Mon grand ami Tiburs m'invita à partager sa bouteille, et nous parlâmes

durant de longues heures du bien-fondé de nos vieilles théories.

Quand vint l'aube, je baignais dans une semi-conscience intemporelle qui allait s'achever brutalement, alors qu'un rayon de Soleil égaré me perça l'oeil

et que je m'ecroulais sur ces planches ancestrales, anéanti par le poids

de mes pensees.


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Quand je pus enfin relever la tête, je m'apercus que cette auberge,

théatre de ma décrépitude, était désormais vide et rongé par les années.
Ma première envie fut de fuir le plus loin possible, sans rien chercher à comprendre

d'autre que les raisons de mes déboires.
Une fois la porte du saloon passée, je me rendis compte que l'endroit n'était

ni une auberge, ni un saloon, car sur une enseigne garnie d'une pléiade de néons

névrosés qui se débattaient pour en égayer la surface, on pouvait lire :
"Faites bien attention avant d'agir !

Le seigneur est avec vous quel que soit votre pêché !"
Calmement en moi-même, je me répêtais les derniers mots de mon oncle Fusibalde

que personne sinon moi n'avait entendus :
"Je suis un marin mais pas le capitaine...
Remplis ta coupe de mon sang et rinces-toi le gosier avec, petit sacripant !"

II était comme ça mon oncle Fusibalde...
On n'a pourtant jamais retrouvé son corps après qu'il eut mis le feu à sa baignoire.

Puis je me ressaisis et repris le chemin du Libre arbitre sans repenser aux évènements

affligeants de la veille.

Ma petite promenade nocturne dans les ruelles capitonnées de la ville n'était pas

des plus réjouissante, car la route que j'empruntais alors ne laissait devant elle

qu'un espace sans la moindre ouverture.

Je me tenais debout au milieu de deux paroies sans faille

dont aucune issue n'émergeait.

Il n'y avait là aucun recours à mon isolement.

La prudence me poussa en avant et je trébuchais.

Anéanti par ma condition, je me recroquevillais sur la terre moite et mouvante

pour mieux contempler la démence de la situation.

Après plusieurs heures d'une attente que j'aurais voulu salutaire, je me levais

d'un geste désarticulé pour montrer à ce monde qui m'en voulait tant,

quelle pouvait être ma force.
J'entamais alors une lancinante danse macabre que le désespoir m'avait inspirée.

Me jetant sur les murs la bouche en coin, je me débattais dans l'immensité

en tambourinant sur ce crâne que mon esprit avait trop longtemps habité.

A la fin de la représentation, je n'oubliais pas de saluer la foule dont chacun

voulait être dissocié.
Les murs s'effondrèrent, et la neige de juin coula à fots.

Plusieurs flocons s'étaient posés dans le fond de mon encollure.

Ceux-la ne fondirent pas mais se changèrent en pierre.

Une voix faible et divinement calme s'éleva dans l'aube aux lueurs blanches pour dire :
"Qui porte le savoir de la mort et de la renaissance en lui,

rend impossible l'entente du floral avec les alambics de son tourment."
Ainsi , je fermai à nouveau les yeux et me mettais à rêver au divin et a l'infini.


klb. juin 1998

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