** . . .: Fille Perdue

19 mai 2007

Fille Perdue

Ça a commencé par une sonnerie. Mon portable a sonné 2 fois. Pas eu le temps de décrocher, juste de voir un numéro que je ne connaissais pas.

Trente secondes plus tard, je recevais un SMS du même numéro : « Bonjour Kevin, ça va ? »

Je me suis dit que c’était probablement quelqu’un que je connaissais qui ne m’avait pas vu depuis longtemps. Donc j’ai appelé ce numéro, et là une voix inconnue m’a répondu. Une voix de jeune femme, pas très harmonieuse, avec l’accent du coin. Elle s’est tout de suite excusée de m’avoir appelé comme ça sans qu’on se connaisse. Intrigué je lui ai demandé où elle avait trouvé mon numéro, et pourquoi elle m’avait appelé. Il se trouve qu’elle appelait au hasard des numéros qu’elle trouvait dans l’annuaire, « pour faire connaissance avec des gens ». Elle m’a tout de suite dit « Oui je sais que ça peut paraitre bizarre d’appeler les gens comme ça… ». Oui mais il y avait suffisamment de détresse dans sa voix pour que je ne l’envoie pas bouler. J’ai toujours eu beaucoup de mal à envoyer bouler les gens.

Il se trouve que je n’étais pas, moi-même, dans un très bon état d’esprit à ce moment là. Pas mal de stress, de frustration, de doutes sur mon avenir… J’avais été passer un entretien à une quinzaine de bornes de Lille dans l’après midi et même si il s’était plutôt bien passé, la place était déjà prise, donc rien de très concret ne m’était promis dans un avenir proche. La route du retour avait été on ne peut plus laborieuse, avec un bus par heure qui ne desservait exceptionnellement pas l’arrêt auquel je l’attendais. J’ai donc marché 45 minutes (avec mon sac rempli de numéros de ELLE, et mon book A3 dans la main) pour atteindre un arrêt desservi, et là j’ai encore attendu 40 minutes qu’un autre bus passe. Un bus de plus en plus bondé au fur et à mesure que l’on s’approchait de Lille. Bref, arrivé chez moi après pratiquement deux heures de route des plus désagréables, j’avais en tête un nouveau texte : « histoire d’un looser » ou « un point », un exutoire à mes tracas, qui me parut vite trop sentir l’apitoiement sur soi.

Et cette inconnue qui m’appelle. Dès qu’elle a senti que j’étais disposé à ne pas lui raccrocher au nez, elle s’est mise à raconter ses problèmes, avec sa famille, ses voisins, les reproches, les incompréhensions, les engueulades, les crises de violence, les agressions… Pas évident de parler de la vie de quelqu’un qu’on ne connait pas.

J’ai fait mon possible pour l’écouter, lui faire parler son mal ; mais je ne suis pas formé pour ça. Interloqué par le fait qu’elle appelle des inconnus pour lier des relations, je lui ai demandé pourquoi elle n’appelait pas ses amis, pour se confier, se décharger du poids de ses problèmes. Apparemment, ses amis ne sont pas des plus proches, trop occupés, à mon avis pas forcément enclins à supporter cette fille qui parait à l’évidence bourrée de problèmes.

Enfin, sa détresse m’a saisi, si à 23 ans appeler des inconnus est le seul moyen qu’il lui reste pour ne pas être seule, alors oui ça va mal. D’un coup mes propres problèmes m’ont semblé bien légers, et ma vie bien tranquille par rapport à ce qu’elle me décrivait.

Elle insistait pour qu’on se rencontre, mais je doutais que ce fut raisonnable, craignant d’être embarrassé, voir emmerdé si elle s’avérait insistante, et me rappelait, passait me voir à l’improviste…

Mais quel mal pouvait ressortir d’une discussion en personne ? Après tout elle semblait tellement avoir besoin d’écoute, que je ne me voyais pas l’envoyer chier après avoir passé quarante minutes au téléphone.

Donc j’ai accepté qu’on se voit aujourd’hui. Je l’ai retrouvée devant le Théâtre Sebastopol, on a été boire un verre en terrasse, beaucoup discuté de sa vie, de ses projets d’études, de ses problèmes familiaux, et de l’attitude de sa mère. J’ai fait de mon mieux pour relativiser ses sentiments hostiles envers ceux qui pouvaient l’avoir blessée, j’ai essayé de la rassurer sur le fait que la vie s’acharne parfois en nous balançant tout un tas de galères sur le dos, mais qu’il y a toujours de meilleurs moments, des gens qu’on rencontre et qui nous font du bien, et qu’on peut toujours finir par apprendre à s’apprécier soi-même. Parfois la psychologie de comptoir est tout ce qui vous vient à l’esprit. Mais il y a un fond de vérité là dedans, et j’espère qu’elle pourra en tenir compte, et avec le temps aller un peu mieux. On est ensuite allés se poser dans le parc, en passant par la rue où vit sa mère, dont elle tenait à me montrer l’immeuble (!).

On a encore un peu discuté, en profitant du soleil, et j’ai essayé de lui faire penser à autre chose en disant des conneries, et en acceptant de jouer à ses jeux enfantins.

Et puis on s’en est retournés vers le centre ville, et j’ai commencé à me demander comment j’allais pouvoir partir de mon côté sans qu’elle se sente vraiment laissée tomber. J’ai fini par lui dire que j’avais des courses à faire (vrai) et que je devais aussi me remettre au boulot sur un site internet (moins vrai).

Je lui ai redit qu’elle ne devait pas hésiter à m’appeler pour me tenir au courant du résultat de son oral, pour boire un verre ou discuter. Je ne saurais pas dire si elle était déçue que je m’en aille ou si elle comprenait que je n’avais pas forcément l’après midi entière à lui consacrer.

Me voila revenu chez moi, où j’écris cette histoire que je trouve plutôt atypique. En toute honnêteté, j’espère qu’elle ne m’appellera pas trop souvent…

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Un putain d'énergumène...

Tu es vraiment sympa (et courageux... et inconscient??) d'avoir rencontré la demoiselle en vrai. Heureusement que ce n'était pas chez toi, mais dans un lieu public... :s hum. Je sais pas... c'est bizarre quand même...
Tu étais le premier avec qui elle tentait de lier connaissance "au hasard de l'annuaire"?

Bises,

Alice

21 mai, 2007 10:05  
Blogger Unknown said...

Non, pas le premier, ça elle me l'a dit dès qu'elle m'a appelé.
Et à l'évidence je ne lui aurais jamais montré où j'habite, pas fou non plus !

21 mai, 2007 10:09  
Blogger Karine said...

Kaelbeh... tu m'épates, vraiment... les personnes comme toi sont rares. Tu as été généreux et tu es honnête... je ne pense pas que beaucoup y serait allé, et je ne pense pas que beaucoup ait l'honnêteté de dire qu'ils n'ont pas tellement envie d'être rappelé. Ce que tu as fais c'est super vraiment!! chapeau bas...
Cependant si cette personne rappelle, pense à te préserver... pour être passée par là je sais ce que ça fait d'être une bouée... tu pourrais être la seule bouée à qui elle peut se raccrocher et du coup elle pourrait y mettre beaucoup d'attentes... auxquelles tu ne pourras pas répondre ou auxquelles tu essaieras de répondre sans en avoir vraiment envie... alors n'oublie pas de mettre des barrières... ah oui un dernier truc: on ne fait pas forcément du bien en pensant faire bien... on peut même parfois faire du mal...
bises à toi mon ami
Karine

26 mai, 2007 13:01  
Blogger Unknown said...

Marchi bien pour ces conseils Karine, ça fait plaisir :)
Mais pour le moment, je n'ai pas eu de ses nouvelles, donc pas de soucis !

26 mai, 2007 13:05  

Caisse à dire...

<< Home